La Folle journée de Ferris Bueller, le chef d’oeuvre signé John Hughes
Parfois, quand la brume éteint tout signe de lumière, quand le vent pointe le bout de son nez et fait rougir le nôtre, quand la température extérieure se rapproche de celle d'un réfrigérateur, la seule chose à faire, c'est revenir aux fondamentaux. Jogging, hoodie, pantoufles des grands soirs et couverture bien chaude, le tout accompagné d'un petit thé et vous avez l'attirail complet pour passer une journée à l'abri de toute contrainte. Enfin, presque. Il manque le film des après-midi canapé. Le petit teen-movie des années 80 qui sent bon le rock et les chewing-gums Hollywood. Mais c'est pas parce qu'on regarde un film pour ados qu'on doit se contenter d'un vieux nanard à deux francs. C'est pour ça que le film qui va nous accompagner dans cette journée hivernale, c'est La Folle journée de Ferris Bueller.
La Folle journée de Ferris Bueller (Ferris Bueller's Day Off en version originale) est un film américain sorti en 1986 et réalisé par John Hughes. Si vous n'êtes pas un cinéphile averti, ce nom ne vous dit sans doute pas grand chose, et pourtant il a travaillé sur de nombreux "incontournables" des années 90 : la série des Maman j'ai raté l'avion, Beethoven, les 101 Dalmatiens, Les Visiteurs en Amérique et Flubber. Parmi cet océan de chefs-d'oeuvre (c'est ironique), on retrouve pourtant deux films de grande qualité (c'est absolument pas ironique) dans sa filmographie, The Breakfast Club et donc La Folle journée de Ferris Bueller. Ceci expliquant peut-être cela, ce sont les deux seuls films de cette liste qu'Hughes a réalisé, pour les autres, il les a soit produits, soit scénarisés, soit les deux. La Folle journée de Ferris Bueller a été dans l'ensemble un succès critique et public. Pour vous donner une petite idée, dès sa première semaine au cinéma, les recettes des billets ont totalement remboursé le coût du film (6 millions de dollars) et a atteint les 70 millions de dollars de recettes aux États-Unis.
Le film raconte l'histoire de Ferris Bueller, jeune étudiant dans un lycée de la banlieue de Chicago. Ferris, populaire et charmeur, est aussi un sacré cancre, et décide un beau matin de sécher la journée pour profiter un peu de la vie. Pour cela, il feint une grippe devant ses parents, et réussit à les duper devant sa sœur Jeanie, incrédule. Par la suite, Ferris décide d'appeler son meilleur ami, Cameron Frye, pour le rejoindre et passer une journée à la cool. Lorsque celui-ci se décide tant bien que mal à rejoindre son ami, ils décident de libérer la copine de Ferris de son devoir scolaire, Sloane Peterson, en prétextant un drame familial devant le directeur du lycée, Ed Rooney. Par la suite, tout le film verra la bande de potes s'éclater dans Chicago, roulant en Ferrari et mangeant dans des restaurants gastronomiques, avec derrière le proviseur, cherchant à coincer les trois adolescents, avec l'aide indirecte de Jeanie.
La bande à Ferris Bueller vs The World
Tout le film se base sur une idée : suivre la bande de potes et surtout voir la chance insolente dont jouit Ferris. Rien ne lui résiste et tout va dans son sens, cela en devient presque irritant à certains moments. Qui n'a jamais rêvé de gifler le gosse de famille aisée, qui est arrogant au possible et qui réussit tout ce qu'il entreprend ? À aucun moment on ne peut ressentir de l'empathie pour lui, il est l'enfant parfait en quelque sorte, en façade du moins. Contrairement aux stéréotypes, il ne décide pas de faire l'école buissonnière parce qu'il souhaite s'échapper du monde cruel de la scolarité. La représentation du lycée dans le film n'y est d'ailleurs absolument pas angoissante, elle est plutôt loufoque, décalée du reste de l'univers du film, notamment avec des professeurs qui, sans parler de leur ton monocorde et ennuyeux habituel, font plus office d'humoristes que de véritables enseignants. Non, la véritable raison qui pousse le jeune homme à rester chez lui, c'est tout simplement parce qu'il veut profiter du soleil. Ferris Bueller représente en fait l'idée complètement antinomique de l'adolescent épanoui et heureux. C'est encore plus frappant quand on le compare à son ami Cameron, timide et peureux. Le jeune a un manque total de confiance en soi, et a une situation familiale plus que précaire. On peut carrément dire que Cameron est l'antithèse de Ferris. À chaque initiative de Ferris, Cameron angoisse, a peur, ne cesse de jouer le rabat-joie. Et pourtant, quoi qu'il fasse, Ferris arrive à convaincre les deux autre larrons de le suivre.
Derrière, comme antagoniste principal du film, on retrouve le principal Ed Rooney, qui joue la figure classique de l'autorité cherchant à brider l'élan de liberté, en essayant de coincer avant tout Ferris Bueller pour éviter qu'il propage sa doctrine anarchique. "Ferris Bueller gives good kids bad ideas", comme il le dit à sa secrétaire. Une relation "Tom and Jerry" s'instaure ensuite entre Ferris et sa bande et le proviseur, le groupe faisant tourner en bourrique Ed et échappant à chaque fois à ses tentatives désespérées pour les prendre en flagrant délit. Dans une moindre mesure, Jeanie Bueller pourrait être considérée comme "ennemie" du groupe, même si son rôle est beaucoup moins clownesque que celui du directeur. D'ailleurs, Charlie Sheen, jouant le rôle d'un loubard arrêté pour des affaires de drogue (ça ne s'invente pas), fera changer de bord la jeune fille, qui aidera même son petit frère à échapper aux griffes du tyrannique Ed Rooney.
Un teen movie, vraiment ?
Au niveau purement technique, le film est simple et efficace. On va pas se mentir, la trame scénaristique n'est pas très originale. Des lycéens qui veulent passer du bon temps et éviter l'école, on l'a déjà vu des milliers de fois. Les rôles sont très caricaturaux, et toutes leurs actions et leurs paroles vont dans ce sens. Mention spéciale néanmoins pour l'imagerie et le cadrage des scènes. Là où de nombreux films du même genre vont utiliser des plans complètement neutres et sans originalité, John Hughes lui décide d'ajouter une touche plus personnelle à son film. Chaque moment du film, chaque scène semble avoir sa place dans le déroulement du film et permet une évolution cohérente de la narration. Il n'y a pas de superflu et c'est au final ce qui fait la force du film, il n'essaye pas de caser des scènes au hasard en espérant que cela marche, tout ce qui est présent dans le film a une réelle utilité, chaque scène a un but précis. L'esthétique du film est d'ailleurs très belle, avec certains plans qui sont soignés, ce qui est quelque peu rare dans ce genre d'oeuvre. Au niveau des acteurs, on peut largement féliciter leur performance. Chacun joue son rôle à la perfection, avec une mention spéciale pour Jeffrey Jones (Ed Rooney) et surtout Alan Ruck (Cameron). Même si les personnages sont des stéréotypes, ils arrivent quand même à nous transporter, avec des interactions et des dialogues vivants.
Mais là où le film réussit réellement à nous toucher, c'est dans sa façon de traiter la problématique. Si on voyait Ferris comme le héros de ce film, on suivrait en fait un jeune qui embarque ses amis dans des situations qui risquent de leur attirer des ennuis, pour son unique plaisir, un petit con quoi. Ed Rooney serait alors une sorte de justicier et aurait donc des intentions bien plus louables que celles de Bueller. Mais ce postulat de départ est erroné, car Ferris n'est pas le personnage central de l'intrigue. Certes, le scénario et la façon dont le film est tourné le suggère. Mais si l'on y regarde de plus près, le vrai personnage central, c'est Cameron. C'est le personnage qui est le plus tourmenté, qui a la plus grande évolution tout au long du film. Son histoire est très complexe et, contrairement à Ferris Bueller, on peut largement s'identifier à lui : l'ado malheureux, un peu timide, qui se fait marcher dessus, que ce soit au lycée ou chez lui et angoissé au possible. Et si l'on regarde le film de ce point de vue, on ne voit plus un jeune égoïste qui ne se préoccupe que de son propre plaisir, on voit simplement l'histoire d'un gamin pétri de bonnes intentions qui essaye de décoincer son ami et lui montre ce que sont les plaisirs de la vie. Si l'on envisage le film de cette perspective, notre relation avec les protagonistes en devient complètement différente. On ressent alors une bien plus grosse empathie envers les personnages de ce groupe, et même une certaine tendresse.
On voit au fur et à mesure Cameron s'émanciper, se libérer et s'affirmer par rapport aux autres. Et c'est bien cette trame qui fait passer La Folle journée de Ferris Bueller d'un simple teen movie à un véritable classique du cinéma des années 80, et même à un film bien plus complexe qu'il n'y paraît. Ce film met en scène des adolescents, certes, mais il n'est pas qu'un film pour adolescents. Ils en sont la cible principale, bien entendu, mais le message qu'il essaye de véhiculer va bien au-delà de ça. Au final, n'importe quelle personne peut se sentir concernée par ces problèmes. Si on avait mis à la place de Cameron un employé, peu sûr de lui et qui se fait constamment marcher dessus par ses collègues et ses proches, le résultat aurait été le même. C'est pour cela que La Folle Journée de Ferris Bueller est un film à part : tout en gardant une simplicité narrative et scénaristique, il arrive à traiter des sujets complexes et à transmettre des émotions très différentes. C'est un film générationnel mais il arrive à toucher toutes les générations.